La peur du changement et la pandémie COVID-19

Bien souvent on a du mal à prendre une décision. Même pour les décisions simples, sans parler des décisions beaucoup plus compliquées. Il y a des décisions qui nous demandent plus de temps, de la réflexion. Simples ou faciles ce qui est important c’est de prendre une décision. Car ce n’est qu’après que nous pouvons passer à l’action.

Mais pourquoi nous fuyons les décisions ?

Les décisions que nous fuyons sont les décisions qui une fois prises vont nous entrainer vers des actions qui vont changer quelque chose dans notre vie. Et nous imaginons souvent que ce changement représente un danger. Pourquoi ? Parce que pour la survie de l’espèce notre cerveau reptilien a été programmé ainsi : « changement égale danger ». En effet, pour nous permettre de survivre notre cerveau enregistre depuis notre naissance les événements auxquels nous assistons. Avec l’éducation et l’apprentissage on arrive à distinguer ce qui est dangereux ou pas. Traverser au feu rouge c’est dangereux, on l’apprend. Mais avant cela on a dû créer le feu rouge, parce qu’on s’est rendu compte que face à une voiture le piéton perdait toujours. Bref c’est ainsi, par apprentissage, qu’on se crée un certain nombre de règles et de croyances. Cet ensemble de règles, d’expériences et de croyances que nous nous sommes forgées forment ce qu’on appelle notre cadre de référence. A l’intérieur de ce cadre nous fonctionnons un peu en mode « automatique ». Ce pilote automatique nous protège parce que tout ce qui sort de ce cadre habituel va être perçu par le cerveau comme un danger. La réaction est immédiate, comme dans le cockpit d’un avion, le cerveau va envoyer un signal de danger : la peur. Voilà comment l’humanité a survécu, et voilà pourquoi pour la majorité d’entre nous, il n’y a rien de plus inconfortable et de « dangereux » que le changement.

Jusqu’à où va la peur du changement ?

Il y a des situations où le changement devient une question de survie. Sortir d’une situation, même si nous nous y sommes habitués peut devenir vital. Cependant notre volonté de maintenir notre cadre de référence est plus fort. Nous nous « habituons » à la situation pour ne pas avoir à changer en prenant en compte sa dangerosité ou son inconfort. Nous connaissons tous la fable de la grenouille1 suivante : « Si l’on plonge subitement une grenouille dans de l’eau chaude, elle s’échappe d’un bond ; alors que si on la plonge dans l’eau froide et qu’on porte très progressivement l’eau à ébullition, la grenouille s’engourdit ou s’habitue à la température pour finir ébouillantée. »

Cet exemple nous montre que lorsque notre environnement change petit à petit, nous les humains nous nous adaptons, nous ne nous apercevons plus de la dangerosité de la situation, de son inconfort. Que ce soit la grenouille de la fable ou nous, dans une situation qui évolue relativement lentement, nous ne prenons pas la décision de changer nos comportements à cause de nos habitudes cognitives.

Comment nions-nous l’évidence ?

La plupart du temps nous nous « voilons la face ». La vérité c’est que nous refusons d’envisager le danger de la situation car cela nous obligerait de changer nos comportements et nos pensées. Nous avons une pléthore d’exemples concrets. Il y a les personnes qui sont engagées dans une relation de couple violente et qui restent malgré tout. Des millions de gens nient le changement climatique, et pourtant la catastrophe est « immanente ». Notre déni face au coronavirus qui « n’est qu’une simple grippe » en est un autre exemple. Ainsi, durant la pandémie du Covid 19, le président Trump a répété à quinze reprises de début février au début mai que « le virus s’en ira, sans vaccin, comme par miracle, il disparaitra »…Ces exemples nous montrent que nos biais et habitudes cognitifs, sont tellement profondément ancrées qu’elles nous empêchent de prendre des décisions rationnelles. Au lieu de mettre en cause notre cadre de référence, ce que nous croyons dur comme fer, nous préférons nous raconter des histoires. Pendant ce temps nous n’avons pris aucune décision pour sortir d’une situation qui pourtant au départ aurait été possible de gérer. Lorsqu’il est trop tard pour réagir, souvent, il est trop tard. Dans le cas du coronavirus cela nous a conduit à des centaines de milliers de morts et à une récession économique mondiale à venir.

Comment retrouver le sens des réalités ?

Revenons à notre grenouille sur le feu. À l’inverse de nous, la grenouille de l’histoire ne réfléchit pas. Doug Melton, du département de biologie de l’université de Harvard, interrogé au sujet de cette fable a déclaré : « Si vous mettez une grenouille dans de l’eau bouillante, elle ne sautera pas. Elle mourra. Si vous la mettez dans de l’eau froide, elle sautera avant qu’elle ne devienne chaude — elle ne reste pas immobile pour vous ». La grenouille se fie à ses sensations physiques.

Nous pourrions nous dire que nous les humains nous sommes, comme les grenouilles munis de senseurs afin de pouvoir réagir à des changements de notre environnement. Et pourtant, il arrive que malgré tous les signaux visibles, audibles, etc. nous continuions de nous comporter comme d’habitude, sans changer quoi que ce soit à notre comportement. Nous nous efforçons d’ignorer les « signaux faibles ». Les signaux faibles ceux les informations partielles et fragmentaires fournies par l’environnement. Igor Ansoff fondateur de la méthodologie propose de les analyser, puis les extrapoler selon les pires hypothèses dans des scénarii qui pourraient se dérouler.

Lorsque l’épidémie du COVID-19 a pris de l’ampleur en Chine, dans une démarche audacieuse et sans précédent, le gouvernement chinois a mis des dizaines de millions de personnes en quarantaine fin janvier. Rien de comparable n’a jamais été fait dans l’histoire de l’Humanité. Pourtant, l’OMS déclare que l’épidémie ne constitue pas encore une urgence publique de portée internationale, car il n’y a « aucune preuve » de la propagation du virus en dehors de la Chine. Plusieurs millions de personnes en confinement, même dans un pays comme la Chine est un « signal faible » plutôt « fort », non ? Devant une telle situation, avons-nous réellement besoin de mise en garde de l’OMS ? Bien sûr que non !

Pour retrouver le sens des réalités, pour évaluer une situation il faut que nous nous reconnections à nos « senseurs » et à notre système d’alarme : nos émotions. Minimiser nos émotions, ne pas en tenir compte ou les refouler a pour conséquence de nous couper de la réalité de ce que nous vivons. Cela nous empêche de prendre de décisions en adéquation avec notre environnement.

La peur, une émotion utile

La peur du changement chez l’homme est tellement forte qu’elle nous conduit au refus de prendre en compte les signaux faibles qui nous indiquent la dangerosité d’une situation. Pour rendre les choses encore plus complexes, nous avons aussi peur d’affronter notre propre peur.

D’abord, parce que la peur est une émotion « désagréable ». Ensuite, parce que la peur se cache souvent sous des sous d’autres formes : la jalousie, la rancune, l’impatience ou le jugement. Autrement dit, la peur peut survenir n’importe quand et là où l’on s’y attend le moins. Or dans notre mode de vie occidentale il n’y a que très peu de peurs qui sont réels. Plus de 90 % de nos peurs n’existent nulle part ailleurs que dans notre imaginaire. Ces peurs sont très fortes car nous croyons en elles dur comme fer – comme nous pourrions croire au Père Noël, et que nous ne les affrontons jamais.

La peur de changer en réalité n’est pas là pour nous empêcher de changer. Elle est là pour nous dire, il y a peut-être un danger dans la situation que nous vivons. Il y a peut-être quelque chose de nouveau par rapport à nos habitudes. C’est peut-être un nouveau danger auquel nous n’avons jamais été confrontés. Comme le premier piéton face à la première voiture, si sa peur de changer de comportement l’emporte alors il se fera écraser.

La peur est une émotion désagréable, mais utile. La prochaine fois que vous l’éprouverez, qu’elle soit déguisée en surprise, en tristesse ou colère, affrontez-la. Demandez-vous « Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour sortir vraiment durablement de cette peur. » Car cette peur est le signal du changement qui s’annonce, que nous le voulions ou pas il arrive.

Vous pouvez trouver des exemples de protocoles de gestion des émotions sur ma fiche Linkedin, « le SURF » . N’ayez plus peur de la peur !


1. Manfred Kets de Vries, “Life and Death in the Executive Fast Lane.” Essays on Irrational Organizations and Their Leaders, Jossey-Bass, 1995.

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